terça-feira, 31 de julho de 2012

Fait-on l’amour de façon gratuite?

Le fait que des femmes et des hommes ne puissent plus, librement, procurer des services sexuels ne changera rien au business juteux des trafiquants de chair humaine. Au contraire. La prohibition de l’alcool, aux Etats-Unis, avait dopé la mafia. Que cache cette volonté bien-pensante de protéger l’image d’Epinal d’une sexualité parfaitement «gratuite»?

Agnès Giard – les 400 culs



Il y a quelque chose de compliqué avec la sexualité, c’est qu’il ne s’agit jamais uniquement de plaisir… ou plutôt que le plaisir s’y entache de mille et une impuretés: le goût du pouvoir, le désir de surmonter ses limites, la peur de rester seul(e), l’arrivisme, la possessivité, etc… Il y a dans la sexualité plein de choses sales ou dérangeantes: combien de femmes avouent faire l’amour uniquement pour que leur mari n’aille pas voir ailleurs? Combien d’hommes font l’amour, sans réel désir, uniquement pour se prouver qu’ils sont «capables»? Officiellement, la sexualité sert à s’épanouir (accessoirement à avoir des enfants). Mais dès que l’on gratte un peu… on se rapproche beaucoup des primates qui font l’amour ou se masturbent réciproquement pour se «rendre service» et, ainsi, atténuer les tensions ou obtenir des faveurs. D’une certaine manière, la sexualité est toujours marchande, puisqu’il s’agit d’une monnaie d’échange. Dans notre société, cette vision de la sexualité est taboue car il s’agit de bien faire la différence entre la maman et la putain. D’un côté la compagne officielle qui fait l’amour par amour, d’un autre côté la femme qui loue son corps parce qu’elle a été battue, violée, forcée. Ou parce qu’elle est complètement perverse. Ou parce qu’elle est trop bête et trop pauvre pour se rendre compte de l’exploitation dont elle est la malheureuse victime…

Dans sa volonté d’abolir la prostitution —alors que toutes les politiques abolitionnistes ont fait la preuve flagrante de leur échec (1)—, le gouvernement français ne fait jamais que renforcer cette vision hypocrite des choses : il s’agit de purifier la sexualité de sa part d’ombre, en obligeant les hommes (et les femmes car il y a aussi des clientes) à ne faire l’amour que dans le cadre légitime d’une relation gratuite, si possible conjugale. L’idéologie dominante entend ainsi imposer sa morale: les hommes et les femmes ne doivent faire l’amour que par affection ou pour le plaisir. Et il ne faut surtout pas que cet échange ait quoi que ce soit à voir avec «une prestation de service».

Mais c’est oublier un peu vite que nous sommes tous et toutes des êtres de séduction qui jouons de nos charmes pour obtenir l’attention, la chaleur et la protection, parfois même la sécurité matérielle. Nous avons besoin d’être rassuré(e)s. Nous avons envie qu’un être mouille ou bande pour notre corps vieillissant. Nous avons besoin de la sexualité pour restaurer l’image que nous avons de nous. Touché(e)s par la baguette magique d’une érection, nous nous sentons soudain plus fort, plus pur, plus beau, ce qui explique peut-être pourquoi la plupart des fantasmes mettent en scène une relation de pouvoir… Pourquoi les contes parlent-ils d’un prince?

Les fantasmes courants reposent sur des relations de force, qui sont parfois retournées avec délices (lorsque les ouvriers de chantier se tapent la bourgeoise, par exemple ou lorsque le palefrenier subjugue brutalement son maître). Il n’est pas si étonnant que le mot pornographie, qui désigne les productions masturbatoires, soient dérivé du mot «prostituée» (porno). Nous baisons tous et toutes comme des prostitué(e)s, même si ce n’est pas forcément pour de l’argent. Au moment même ou Najat Vallaud-Belkacem s’apprête à prohiber le sexe tarifé, il serait donc intéressant de se poser la question: sous prétexte de faire disparaître l’exploitation des femmes (ce qui dans les faits, risque fort de renforcer la puissance des proxénètes), le gouvernement n’est-il pas en train de légiférer notre sexualité?

Sept questions à Morgane Merteuil, travailleuse du sexe et secrétaire générale du STRASS.

1/ Beaucoup de prostituées affirment que ce métier est un métier comme un autre. Dans quelle mesure est-ce juste ?
On peut considérer que c’est un métier comme un autre dans la mesure où c’est une activité de laquelle on tire des revenus.
Mais qu’est-ce qu’un métier comme un autre? Je ne crois pas qu’un métier soit comparable à un autre… Mettre des gens à la rue ou dans des charters, est-ce un métier comme un autre?

2/ Beaucoup de prostituées affirment parallèlement que ce métier ne rend pas heureux. Même Grisélidis Real écrit dans ses correspondances: “Je continue mes nuits de souffrance, à marcher seule dans le grand Gouffre noir de la Nuit.” Pourquoi, à votre avis, le fait de procurer du plaisir sexuel et/ou une compagnie affective est-il si déstabilisant ?
On ne peut pas faire de réponse générale là-dessus. Les raisons pour lesquelles on choisit ce métier plutôt qu’un autre peuvent être très diverses.
Mais je ne pense pas que ce soit le fait de donner du plaisir à quelqu’un qui déstabilise; dans cet extrait de Grisélidis que vous citez d’ailleurs, il apparaît bien que c’est de “marcher dans la nuit” qui est ici cause de souffrance. La stigmatisation, les conditions d’exercices dans lesquelles on se retrouve obligées de travailler, là sont les principales raisons du possible mal-être des prostituées.

3/ Le métier de prostitué(e) est-il déstabilisant uniquement lorsqu’il est exercé dans des pays qui condamnent moralement les prostitué(e)s?
Encore une fois on ne peut apporter UNE réponse à ce genre de questions… Derrière chaque prostituée il y a une vie individuelle, un parcours particulier, etc. Et puis on ne peut pas dire “les prostituées le vivent bien”, “les prostituées le vivent mal”… A chaque fois c’est une partie des prostituées qui le vit bien, une qui le vit mal… et même ce “bien” ou ce “mal” est complexe. Ce qui est certain c’est que si l’activité en elle-même est mal vécue, il faut aider les personnes à trouver une autre activité professionnelle. Mais encore une fois il faut des réponses personnalisées, on ne peut faire des généralités sur la prostitution, car elle met en jeu des mécanismes individuels souvent complexes.
Il faut avant tout écouter les besoins de la personne, quels qu’ils soient (que ce soit le besoin d’arrêter, où ses attentes pour continuer de manière à mieux le vivre, etc)

4/ Comment expliquez-vous le fait que certaines personnes choisissent de devenir prostitué(e)s et décident de le rester malgré la souffrance que ce métier semble générer ?
Là encore, ces raisons varient en fonction des personnes. Quel métier ne fait pas mal, n’est pas usant ?
Celui de prostituée n’y échappe pas plus qu’un autre… Si les personnes continuent malgré tout, c’est qu’à un moment elles estiment qu’elles préfèrent tout de même faire ça qu’autre chose. Et les raisons sont aussi nombreuses qu’il y a de prostituées… à chaque fois ça peut être un ensemble de raisons, de mécanismes…

5/ Beaucoup de gens choisissent une profession qui les obligera, de façon parfois brutale, à surmonter un problème. Par exemple: la plupart des journalistes souffrent de timidité. Pensez-vous que le métier de prostitué(e) permet de vaincre des peurs, des complexes, de se guérir de certains traumas? Lesquels?
Je ne peux parler que de mon expérience, mais aussi de mes lectures et de témoignages que j’ai pu entendre. Pour ma part ce métier m’a redonné confiance en moi, m’a appris à porter un regard différent sur les gens aussi, sûrement. A essayer de voir derrière chacun de mes clients l’être humain, souvent souffrant, qui s’y cache, et ainsi à moins mépriser les personnes, à ne plus les juger sur l’image qu’elles renvoient, mais à prendre conscience que chacun(e) est un être complexe, potentiellement aimable pour certaines raisons, en même temps détestable pour d’autres…
Virginie Despentes explique pour sa part que se prostituer a été une étape cruciale de reconstruction après son viol : à prendre conscience que si elle pouvait continuer à vendre du sexe, c’est qu’au final ça ne lui avait pas été pris.

6/ Sur le plan psychologique, quels sont les points communs entre les prostitué(e)s ? Pourriez-vous dégager des caractéristiques communes, qui permettrait de comprendre la démarche de se prostituer ?
Je ne peux pas établir de tels profils. Il n’y a pas besoin de comprendre une démarche pour la légitimer.
Si une personne fait un choix, ces raisons ne regardent qu’elle. Pourquoi toujours avoir à se justifier? On ne fait pas une “bêtise”, pourquoi devrait-on donner des excuses?

7/ Beaucoup de féministes disent qu’il est scandaleux qu’une personne se sacrifie pour les autres… “Tout le monde peut avoir une vie sexuelle, affirment les abolitionnistes, il suffit de se masturber. Les sociétés qui légitiment l’exploitation des corps, sous prétexte qu’il faut bien offrir un exutoire aux frustrations collectives, est une société inique…“. Que pourriez-vous répondre à ce genre d’argument ?
D’une: que je me sacrifie pas plus que quiconque donne de son temps en échange de fric et pour offrir des services pour lesquels il y a une demande. Je ne vois pas en quoi je me fais plus exploiter que les autres travailleur(se)s… D’autant qu’on peut aussi trouver des satisfactions personnelles dans ce métier, ce qui n’est pas le cas de nombreux métiers (la satisfaction personnelle à vider des culs de poulets, parlons-en !).
De deux: que nos clients ne viennent pas chercher que du sexe auprès de nous, mais aussi de la tendresse, de la compagnie, bref, tout ce que sa main ne peut pas offrir.
De trois: qu’il est très facile de juger les autres, surtout quand on a une bonne situation, un métier “socialement reconnu” et un partenaire similaire à soi, oui, c’est facile de mépriser l’autre!
J’y vois surtout un besoin de vouloir absolument trouver plus malheureux que soi afin de se sentir supérieur…

PLUS DE RENSEIGNEMENTS : le portrait de Morgane Merteuil sur Libération
Son débat avec Guy Geoffroy sur LCP
Une interview pour Rue89
Une pour Le Monde

Note 1/ Dans une lettre ouverte à Najat Vallaud-Belkacem, Georges Kaplan suggère : «Les politiques de prohibition – de l’alcool, de la drogue comme de la prostitution – n’ont jamais eu d’autres conséquences que de nourrir le crime organisé aux dépens du reste de la société. C’est le gouvernement des États-Unis qui a fait la fortune d’Al Capone plus que n’importe qui d’autre. Si, comme j’en suis sincèrement convaincu, votre objectif est d’aider ces jeunes femmes, c’est précisément la politique inverse qu’il vous faut mettre en œuvre : légalisez la prostitution et abrogez la loi de 1946 qui interdit les maisons closes. Vous porterez ainsi un coup fatal aux réseaux de proxénétisme clandestins et vous permettrez aux prostituées de travailler de leur plein gré dans des conditions d’hygiène acceptables.» (source : Causeur)

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