terça-feira, 23 de novembro de 2010

Jean Genet : un poète méconnu

Poésie universelle:
 "Patricia" : poesieuniverselle@yahoogroupes.fr
Suite à un message de notre ami Orlando sur son groupe de poésie, je vous propose de (re)découvrir ce poète "rebelle" doté d'une sensibilité magnifique.




Le condamné à mort (extrait)

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SUR MON COU sans armure et sans haine, mon cou

Que ma main plus légère et grave qu'une veuve

Effleure sous mon col, sans que ton cœur s'émeuve,

Laisse tes dents poser leur sourire de loup.



Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d'Espagne,

Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.

Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,

Mène-moi loin d'ici battre notre campagne.



Le ciel peut s'éveiller, les étoiles fleurir,

Ni les fleurs soupirer, et des prés l'herbe noire

Accueillir la rosée où le matin va boire,

Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.



Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !

Visite dans sa nuit ton condamné à mort.

Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,

Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.



Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.

Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.

On peut se demander pourquoi les Cours condamnent

Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour.



Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !

Traverse les couloirs, descends, marche léger,

Vole dans l'escalier plus souple qu'un berger,

Plus soutenu par l'air qu'un vol de feuilles mortes.



Ô traverse les murs ; s'il le faut marche au bord

Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,

Use de la menace, use de la prière,

Mais viens, ô ma frégate, une heure avant la mort.



PARDONNEZ-MOI mon Dieu parce que j'ai péché !

Les larmes de ma voix, ma fièvre, ma souffrance,

Le mal de m'envoler du beau pays de France,

N'est-ce pas assez, mon Seigneur, pour aller me coucher.

Trébuchant d'espérance



Dans vos bras embaumés, dans vos châteaux de neige !

Seigneur des lieux obscurs, je sais encore prier.

C'est moi, mon père, un jour, qui me suis écrié :

Gloire au plus haut du ciel au Dieu qui me protège,

Hermès au tendre pied !



Je demande à la mort la paix, les longs sommeils,

Le chant des séraphins, leurs parfums, leurs guirlandes,

Les angelots de laine en chaudes houppelandes,

Et j'espère des nuits sans lunes ni soleils

Sur d'immobiles landes.



Ce n'est pas ce matin que l'on me guillotine.

Je peux dormir tranquille. À l'étage au-dessus

Mon mignon paresseux, ma perle, mon Jésus

S'éveille. Il va cogner de sa dure bottine

À mon crâne tondu.



POMPES FUNEBRES JEAN GENET P.267 L'imaginaire/ Gallimard (1953)

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Je sors d'un rêve que je ne puis rapporter.



Un rêve ne peut être fixé. Il s'écoule et chacune de ses images constamment se transforme puisqu'il n'existe que dans le temps et non dans l'espace. Puis l'oubli, la confusion... mais ce que je peux dire, c'est l'impression qu'il m'a fait.



A mon réveil, je savais que je sortais d'un rêve où j'avais commis le mal (je ne sais par quelle action : meurtre, vol ?) mais j'avais commis le mal, et j'éprouvais le sentiment de connaître la profondeur de la vie. Quelque chose comme si le monde avait une surface sur laquelle nous glissons (le bien) et une épaisseur où l'on ne s'enfonce que rarement, plus rarement qu'on ne croit (je note tout de suite qu'il s'agissait ainsi en rêve d'un séjour en prison).



Je crois que ce rejet du monde par le monde peut donner une humilité ou un orgueil, ou vous obliger à rechercher de nouvelles règles de vie, que ce nouvel univers vous permette de voir l'autre monde.



Il serait difficile d'expliquer pourquoi dans la cour de cette prison passait le cortège funèbre de tous les rois de la Terre. Ce n'est pourtant pas l'instant d'être imprécis. En réalité chaque roi, chaque reine, chaque prince royal, vêtu d'un manteau de cour de velours noir à traîne et coiffé de la couronne d'or fermée, voilée de crèpe le plus souvent, menait le deuil de tous les autres rois. Déjà étaient passés devant elle presque tous les rois du monde---ce qui veut dire d'Europe, quand la bonne vit s'avancer un carosse doré traîné par des chevaux blancs vêtus de deuil. Une reine y était assise, le sceptre au poing et le poing aux genoux. Elle était morte. A pied, une autre reine suivait, dont le visage était voilé. On ne pouvait les reconnaître. On savait que c'était des rois, des reines et des princes à leur couronne et à la raideur un peu timide de leur marche.



Malgré la dignité et l'éloignement forcé auxquels les oblige la vie, ces monarques parurent très près de la boniche qui les regardait défiler, avec étonnement, mais sans plus de crainte ni d'émerveillement qu'elle n'eût regardé passer une bande d'oies conduites par le jars. Ce cortège donnait vraiment l'impression de la richesse, les bijoux de deuil y étaient avec profusion, sauf qu'il n'y avait pas une fleur, un feuillage, si ce n'est brodés d'argent sur noir. La reine d'Espagne, reconnue grâce à son éventail, pleura beaucoup. Le roi de Roumanie était maigre, presque sans chair, et blanc. Tous les princes allemands le suivaient.



Et chacun, dans ce cortège, était seul, pris, capturé dans un bloc de solitude d'où il ne pouvait rien voir que lui-même et l'exceptionnelle magnificence- non d'un destin - mais de la trace de ce destin qu'il continuait. Leur solitude enfin, et leur indifférence permettaient à la bonne d'être maîtresse d'elle-même en face de ces personnages hautains. Elle les regarda comme sa patronne regardait le samedi de son balcon passer les noces.



Je suis soudain seul parce que le ciel est bleu, les arbres verts, la rue calme, et qu'un chien marche aussi seul que moi, devant moi. J'avance lentement, mais fortement. Je crois qu'il fait nuit. Ces paysages que je découvre, ces maisons avec leurs réclames, les affiches, les vitrines au milieu de quoi je passe en souverain sont de la même substance que les personnages de ce livre, que les visions que je découvre quand ma bouche et ma langue sont occupées dans les poils d'un oeil de bronze où je crois reconnaître un rappel des goûts de mon enfance pour les tunnels. J'encule le monde...



Pour finir,

le dossier de France Culture pour le centenaire de sa naissance

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regorge de trésors avec des émissions passionnantes.

http://www.franceculture.com/